mercredi 26 mars 2008

Que faire de la fonte ?









Cette semaine, Mamie Nova est débordée, alors, c'est moi qui prends le relais. Je me présente : je suis la cocotte en fonte et je vais vous raconter mon histoire.

Je suis très vieille et je ne me souviens plus très bien de ma naissance. Je pense que ça devait être dans un creuset du Creusot, en tout cas, je n'ai pas connu la grande surface de distribution. Non Messieurs dames, moi, on m'achetait chez le quincaillier ou le droguiste, comme on disait, mais j'ai peut-être été vendue sur le marché de Rueil Malmaison. A cette époque, j'étais vraiment à la pointe du progrès... Je garantissais le mijotage, je conservais la chaleur, j'allais aussi bien sur le feu que dans le four, bref, on pouvait tout cuisiner dans mon giron.

Me voilà donc arrivée aux Souffrettes où j'ai commencé ma carrière sur la cuisinière à charbon. Vous en avez peut-être vu, de ces chefs d'œuvre en fonte émaillée, vert ou bleu avec deux foyers circulaires en forme de cible qu'il fallait alimenter régulièrement... Ah ! J'en ai vu défiler des recettes de cuisines ! Et que j'te fais mijoter une daube, et que j'te fais rissoler des pommes de terre, et que j'te prépare un ragoût, de la saucisse aux pommes, du lapin aux pruneaux, j'ai même fait revenir (pas à la vie) des pigeons voyageurs... C'est que la famille était nombreuse ! Les parents et quatre enfants qui avaient bon appétit ! Alors, comme je ne suffisais pas toujours à la tâche, on m'a adjoint une petite pour me seconder. C'est vrai qu'elle n'était pas bien grande, elle n'avait pas ma capacité, mais elle me complétait bien.

Et puis, il y a eu la guerre : les fils sont partis, ils ont été prisonniers et je me suis retrouvée un peu trop grande, certains soirs où ma patronne accommodait comme elle pouvait les rutabagas et les topinambours. Mais le plus souvent, c'était la p'tite qui me remplaçait...

Après l'occupation, tout le monde est rentré, mais le Papa n'était plus là. Je crois qu'ils avaient essayé d'emmener leur fille en zone libre et il a eu une attaque dans le train. Il n'est jamais revenu... Les garçons se sont mariés et ils ont quitté la maison. La fille s'est mariée aussi mais elle est restée. J'étais déjà d'âge mûr... J'avais bon fond, mais j'avais pris de l'épaisseur sur le feu au charbon. On aurait dit du ciment noir. J'ai toujours été un peu lourde, mais j'avais encore pris du poids.

Trois filles sont nées et j'ai repris du service. Il faut dire que je n'ai jamais envisagé la retraite, mais elle est venue tout doucement.

C'est dans les années soixante, je crois, qu'on a fait livrer une gazinière émaillée toute blanche.. Ça m'a fait tout drôle cette flamme bleue... Heureusement, on me remettait de temps en temps sur la cuisinière à charbon pour que je continue une cuisson lente ou simplement que je garde un petit plat au chaud. Il suffisait de régler la distance par rapport au foyer. Mais j'étais moi-même devenue trop petite, et pas très élégante... On m'a remplacé par une grande cocotte ovale, émaillée, orange (vulgaire !). Néanmoins, j'étais toujours là pour cuire la pâtée du chat gris! C'était la Mémé qui faisait ça : du mou, des carottes, des oignons, si je me souviens bien, et ça sentait tellement bon que certains visiteurs regrettaient de ne pas être ce chat-là ! Je ne crois pas qu'il ait un jour mangé du ronron...

Peu avant l'année soixante dix, ils ont tout déménagé ! Je me suis retrouvée sur une étagère que je n'ai pratiquement pas quittée jusqu'à un autre déménagement. Là, par contre, on m'a mise à la cave et j'y suis restée sans rien dire pendant des années. L'été dernier, j'ai changé de maison. A mon âge, ça n'a pas été sans douleurs... Je suis un peu rouillée. J'ai retrouvé la p'tite cocotte et la p'tite fille à qui on avait offert le chat gris... Elle m'a nettoyée et elle m'a donné un petit coup de jeune et elle m'a donné du travail. Je ne sais plus comment elle a appelé ça : un magret ou un maigret de canard. Tout ce que je peux dire, c'est que pour un maigret, il était plutôt gras... Le fait est que ça m'a tellement émue que je m'en suis fendue... Mais la première fois, elle ne s'en est pas aperçue. Elle a juste trouvé que c'était un peu trop cuit. La deuxième fois, elle a vu toute la graisse sur la plaque, elle m'a examinée... J'étais gênée ! Elle a tout vu... Je me demande ce qu'elle va faire de moi...

Bon, hé bé ma cocotte, il serait temps d'arrêter ton caquetage... Non mais, c'est quelqu'un celle-là ! En plus d'être fêlée, il faut qu'elle raconte sa vie ! Qu'est-ce que je vais en faire ? Refond-on la fonte fendue ? Je n'ai pas de grenier où mes arrière-petits-enfants pourraient la trouver un jour et, qui sait, se demander à quoi ça pouvait bien servir autrefois... Finalement, je pense que je vais la garder quand même, comme on fait toujours, parce qu'on ne sait jamais...

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